« Qu’il s’agisse d’évaluer la conception d’installations en projet ou de suivre leur construction, les enjeux du prolongement de la durée d’exploitation de celles en service, le démantèlement de celles à l’arrêt définitif ou la gestion des déchets radioactifs, le métier d’expert en sûreté nucléaire exige une vision systémique, sur le temps long. L’examen concomitant de projets de nouvelle génération et de projets d’extension d’exploitation permet à l’expert, notamment, d’acquérir des connaissances et des compétences qui vont enrichir le positionnement de l’Institut sur les différents dossiers.
Au début des années 2000, les réflexions menées sur la conception des réacteurs de type EPR alors en projet ont alimenté la définition des objectifs pour l’extension du fonctionnement des réacteurs du parc au-delà de 40 ans. De la même manière, les travaux d’expertise et de recherche en cours sur la conception des réacteurs EPR2 ou encore sur les réacteurs modulaires de faible puissance (SMR) contribueront à des progrès sous différentes formes. Tout d’abord, en matière de maîtrise de la conformité des réacteurs dans le cadre de la poursuite de leur exploitation au-delà de 50 ou 60 ans, par le développement de moyens de contrôle non destructifs innovants. Ensuite, par la définition d’améliorations de sûreté, grâce notamment au remplacement d’équipements ou de composants par des équipements ou des composants plus performants. De même, le retour d’expérience d’exploitation des installations actuellement en fonctionnement, y compris les plus récentes, comme les EPR de Taishan en Chine, alimente les choix de conception des nouveaux projets.
Cette transversalité vaut également entre les installations à vocation civile et de défense, l’examen des référentiels de sûreté appliqués à la propulsion nucléaire de certains bâtiments de la Marine nationale alimentant les réflexions menées sur les SMR. Les analyses de sûreté et recommandations des experts de l’IRSN apportent ainsi aux autorités le bénéfice d’une vision d’ensemble des installations nucléaires civiles et de défense. »
Karine Herviou
Directrice générale adjointe,
en charge du pôle Sûreté nucléaire
Dans un contexte de dérèglement climatique et de croissance de la demande en électricité – que RTE estime devoir passer de 449 TWh à près de 630 TWh en France à l’horizon 2050 –, le choix du gouvernement français se porte à la fois sur la sobriété énergétique, l’efficacité énergétique, les énergies renouvelables et l’énergie nucléaire.
Le président de la République a annoncé, en février 2022, l’intention de la France de se doter de six nouveaux réacteurs nucléaires de type EPR2 et manifesté son intérêt pour le développement de nouveaux concepts comme les réacteurs modulaires de faible puissance (SMR).
Quelle stratégie met en place l’IRSN afin de se préparer à l’examen des dossiers de sûreté qui lui seront soumis dans le cadre de la construction des EPR2 et du développement des SMR ? Comment son action contribuera-t-elle à l’harmonisation des approches et pratiques de sûreté nucléaire sur le plan international ? Éléments de réponse…
Les EPR et les SMR répondent à des logiques assez différentes. Les premiers sont des réacteurs de forte puissance (supérieure à 1 600 MWe) à vocation électrogène, envisagés comme relais du parc nucléaire en exploitation. Les seconds sont des projets de réacteurs de faible puissance (inférieure à 300 MWe), polyvalents, capables de produire de l’électricité ou de la chaleur, voire les deux de manière combinée, afin par exemple de générer de l’hydrogène.
Pour le renouvellement du parc nucléaire, EDF a proposé au gouvernement en mai 2021 le lancement de la construction de trois paires de réacteurs EPR2. Une option pour quatre paires supplémentaires est envisagée. Fin juin 2023, EDF a déposé une demande d’autorisation de création d’une première paire sur le site de Penly.
Tirant parti de l’expertise de la conception et de la construction de l’EPR de Flamanville (Manche) – dont il s’apprête en 2024 à analyser les derniers essais de démarrage et la montée en puissance –, l’IRSN a défini une stratégie d’expertise visant à achever, fin 2025, l’examen du rapport préliminaire de sûreté de l’EPR2. Cette stratégie s’inscrit dans la continuité de l’expertise des options de sûreté, que l’Institut a présentée au groupe permanent d’experts pour les réacteurs en 2019, et s’appuiera sur le guide ASN/IRSN n° 22 pour la conception des réacteurs à eau sous pression. Afin d’optimiser ses ressources, l’Institut se concentrera sur les principales évolutions de l’EPR2 par rapport à l’EPR : passage d’une double à une simple enceinte de confinement et de quatre à trois trains de sûreté, meilleure diversification de la source froide et de l’alimentation électrique… Ensuite, il expertisera les dossiers de sûreté successifs produits par EDF à l’issue du décret de création jusqu’à l’autorisation de mise en service annoncée par EDF à l’horizon 2035/2037. Pour les différentes paires d’EPR2 prévues, une attention particulière sera portée aux effets du changement climatique tels qu’on peut les anticiper sur la durée de fonctionnement prévue de ces réacteurs, en tenant compte des sites d’implantation envisagés.
À travers le monde, près de 70 concepts de SMR ont été annoncés, reposant sur une grande diversité de filières : réacteurs à eau sous pression, à gaz à haute température, à neutrons rapides (refroidis au sodium, aux sels fondus, au gaz, au plomb), etc. En France, le dispositif « Réacteurs nucléaires innovants » de France 2030 accompagne le développement de nouveaux réacteurs et a déjà annoncé plusieurs lauréats. Pour l’IRSN, une telle diversité appelait à une prise en compte au plus tôt des caractéristiques propres aux principaux concepts du point de vue de la sûreté. Ainsi, dès 2015, l’Institut a produit un premier rapport d’évaluation relatif aux filières possibles afin de maintenir un haut niveau d’exigences de sûreté pour ce type de réacteurs. En 2024, il se prépare à expertiser le dossier d’options de sûreté déposé par NUWARD (consortium composé d’EDF, de Technicatome, de Naval Group, du CEA, de Framatome et de Tractebel). Le projet NUWARD SMR comporte deux réacteurs à eau pressurisée compacts de 170 MWe chacun, dont la modularité a pour objectif de permettre la réalisation d’une partie des opérations d’assemblage en usine. Parallèlement, l’IRSN poursuit un cycle d’échanges avec les concepteurs d’autres modèles avancés afin d’identifier avec eux, en fonction des caractéristiques de leur concept, les thèmes prioritaires à investiguer pour la sûreté. Les enjeux de sécurité, très spécifiques pour ce type d’installations, feront en parallèle l’objet d’expertises dédiées.
Certains développeurs de SMR envisagent de les installer à proximité de zones industrielles, voire urbaines, et de construire à terme de nombreuses unités. Ces éléments justifient la définition d’objectifs de sûreté ambitieux en termes de limitation des conséquences des accidents, y compris au regard de ceux retenus pour les réacteurs de génération III, de type EPR. En outre, la possibilité d’exploiter des SMR similaires dans différents pays désireux de se doter de tels réacteurs appelle une harmonisation internationale des exigences de sûreté en vigueur. L’IRSN contribue aux travaux du Small Modular Reactor Regulators’ Forum de l’AIEA depuis 2014. Il participe également au groupe d’experts sur les SMR au sein du Comité sur la sûreté des installations nucléaires (CSNI) de l’AEN afin d’identifier les besoins en connaissances relatives aux SMR et a publié, sous l’impulsion de Jean-Christophe Niel, président de ce comité, une feuille de route intitulée « Research Recommendations to Support the Safe Deployment of Small Modular Reactors ». Concernant NUWARD SMR, l’Institut a participé à la première phase de la Joint Evaluation Review du concept, aux côtés des autorités de sûreté nucléaire française, finlandaise et tchèque, et s’investira dans la deuxième phase de cette évaluation étendue à un plus grand nombre de pays.
Si NUWARD SMR est un réacteur à eau sous pression dont le combustible est similaire à celui du parc en exploitation, la mise en œuvre de SMR à neutrons rapides ou refroidis au gaz supposerait le développement d’un cycle du combustible adapté à la fabrication des éléments de combustible et à la gestion des déchets produits. Autant d’aspects qui soulèvent de multiples questions spécifiques sur le plan de la sûreté et de la sécurité nucléaires.
Les réacteurs modulaires de faible puissance, comme NUWARD SMR, font appel à des systèmes passifs pour assurer leur sûreté. Des projets de recherche auxquels l’IRSN est associé s’attachent à vérifier que les fonctions de sûreté de ces systèmes passifs seront assurées en situation accidentelle.
[1] France 2030 – ANR-22-PAST-0001.
Alors que l’expertise des dispositions de type « noyau dur » destinées à renforcer la robustesse des réacteurs nucléaires face aux aléas extrêmes à la suite de l’accident de la centrale de Fukushima-Daiichi et de celles associées au « grand carénage » mené par EDF est toujours en cours, l’IRSN se prépare aux nouveaux enjeux, du point de vue de la sûreté, de prolongation de la durée d’exploitation du parc électronucléaire français : un parc plus performant, exploité plus longtemps et plus tolérant aux aléas climatiques.
Le 5e réexamen périodique de sûreté des réacteurs de 900 MWe (RP5-900), qui s’enclenchera peu de temps après l’achèvement du 4e réexamen (RP4-900), répondra à des enjeux assez différents. En effet, la prise en compte du retour d’expérience de l’accident de Fukushima-Daiichi et celle des objectifs de sûreté définis par l’ASN pour l’exploitation des réacteurs au-delà de 40 ans avaient conduit à la reprise d’un grand nombre d’études, à de nombreuses modifications et à des évolutions majeures des règles générales d’exploitation.
S’agissant du RP5-900, les enjeux principaux sont de stabiliser le référentiel de sûreté des réacteurs concernés et de se concentrer sur la sûreté en exploitation, en recherchant des simplifications si possible ; ensuite de s’assurer de la conformité des installations à ce référentiel ; et enfin prendre en compte le dérèglement climatique et ses conséquences à terme sur les agressions que peuvent subir les installations.
EDF prépare des évolutions importantes qui auront une incidence sur les activités d’expertise à venir de l’IRSN. EDF ambitionne ainsi de déployer sur ses sites des programmes pluriannuels de vérification de la conformité des équipements à leur référentiel de sûreté, complémentaires des pratiques courantes d’exploitation, et des visites de terrain, complémentaires des programmes d’investigation déjà prévus dans le cadre des réexamens périodiques.
En vue d’accroître la disponibilité de son parc de réacteurs en service, l’exploitant envisage également une nouvelle gestion du combustible MOX avec des durées accrues de fonctionnement entre deux arrêts. L’Institut analysera les études de la démonstration de sûreté reprises par EDF pour tenir compte de cette nouvelle gestion de combustible.
À plus long terme, EDF envisage une simplification des règles générales d’exploitation, par laquelle il entend faciliter le travail des opérateurs et limiter la durée de certains arrêts qu’il estime notamment liés à la complexité de l’actuel référentiel de sûreté. Dans ce domaine, l’IRSN et l’ASN ont initié avec EDF un dialogue préalable visant, dans un premier temps, à identifier les questionnements soulevés et à définir une stratégie.
EDF envisage d’autres leviers de performance du parc, comme l’augmentation de la puissance électrique de certains réacteurs, y compris en passant par une augmentation de la puissance nucléaire. Ceci aurait un impact sur les marges des études de sûreté qu’il importe d’anticiper suffisamment à l’avance.
Afin de restaurer des marges vis-à-vis des critères de sûreté, des modifications matérielles sont envisagées. Par exemple, avec l’introduction de nouveaux combustibles plus tolérants aux accidents (ATF), il serait possible de limiter les phénomènes d’oxydation et de déformation des gaines en cas d’accident de perte de refroidissement et d’assurer une meilleure rétention des produits de fission. Les résultats des campagnes d’essais à venir et les données issues des programmes de recherche menés permettront à l’IRSN de développer et de valider des modèles spécifiques pour la simulation du comportement de ces futurs combustibles.
Un autre levier est une simulation moins conservative des phénomènes physiques intervenant lors des situations incidentelles ou accidentelles étudiés, ce qui nécessite des efforts accrus de validation des logiciels utilisés. À cet égard, l’IRSN examinera les résultats des expériences menées, par exemple, dans le cadre du projet METERO du CEA (plateforme expérimentale permettant l’étude d’écoulements complexes et variés), pour simuler ces phénomènes, les confrontera à ceux du logiciel CATHARE et s’assurera que l’ensemble des phénomènes physiques a été pris en compte.
Dans la perspective d’une prolongation au-delà de 60 ans de la durée d’exploitation des réacteurs, l’IRSN a participé à la définition, avec l’ASN et EDF, du contour d’un dossier de faisabilité que l’exploitant doit constituer en 2024 et 2025. L’Institut expertisera dès 2025 ce dossier afin de présenter, en 2026, ses conclusions aux groupes permanents d’experts en sûreté de l’ASN. La thématique du vieillissement des équipements et installations sera au cœur de cette expertise, avec un enjeu particulier : évaluer l’aptitude des équipements non remplaçables à assurer, pour une durée très supérieure à celle prévue par conception, les fonctions de sûreté qui leur sont attribuées. Trois grands types d’équipements sont concernés :
Pour la détermination des aléas climatiques, EDF s’appuie sur une veille, révisée tous les cinq ans, qui vise à anticiper les conséquences d’évolutions climatiques sur le respect des objectifs de sûreté et doit conduire à des analyses approfondies en cas d’un « événement climatique majeur ». Cette démarche et ses résultats sont expertisés par l’IRSN, qui dispose de ses propres capacités de calcul basées sur des statistiques des extrêmes.
Dans le cadre de l’expertise qui portera sur la prolongation de la durée de vie des réacteurs existants au-delà de 60 ans, il est prévu qu’EDF produise fin 2024 un document présentant « un état des lieux des dispositions d’adaptation au changement climatique à l’international ainsi que des solutions innovantes issues des travaux de R&D ». L’IRSN a engagé de son côté, avec Météo France et l’Institut Pierre-Simon Laplace, des travaux de recherche par le biais de deux thèses doctorales afin d’évaluer l’évolution à long terme des aléas météorologiques.
Traitement des combustibles usés, recyclage, entreposage… le cycle du combustible est confronté à des enjeux majeurs de politique industrielle auxquels sont associées des questions de sûreté nucléaire qui vont se traduire, pour l’IRSN, par un volume croissant d’activités d’expertise dans les années à venir.
Exploitée par Orano sur la commune de Chusclan (Gard), l’usine Melox produit des assemblages combustibles à base d’oxyde mixte uranium-plutonium (MOX). Les difficultés de fabrication connues par l’installation à partir de 2018 ont généré des volumes croissants de rebuts envoyés dans les usines de La Hague (Manche).
En 2022 et 2023, l’IRSN a publié des avis d’expertise des dossiers de sûreté transmis par Orano pour la création de nouvelles capacités d’entreposage destinées à les accueillir. Par ailleurs, Orano a engagé des projets de modification de cette usine sur lesquels l’IRSN sera amené à réaliser des expertises.
À ces rebuts s’ajoute, à La Hague, une problématique d’entreposage du plutonium issu du traitement des combustibles usés et dont l’évacuation vers l’usine Melox se trouve retardée. Un autre enjeu est celui de l’entreposage, dans les piscines de La Hague, des assemblages de combustibles usés. Orano a transmis un dossier de demande d’autorisation, que l’IRSN examinera en 2024, visant à densifier les entreposages en piscine des combustibles, dans l’attente de la mise en service par EDF, après 2030, d’une nouvelle piscine d’entreposage de combustibles usés sur le site de La Hague. L’entreposage à sec de combustibles usés dans des emballages de type TN Eagle est parallèlement exploré par Orano.
Enfin, l’entreposage à La Hague des déchets de haute activité ou de moyenne activité à vie longue sous forme de verres ou compactés en attendant la mise en service d’un stockage définitif conduit Orano à créer des capacités d’entreposage supplémentaires sur le site de La Hague.
L’IRSN rendra ses conclusions sur le 2e réexamen de la sûreté de l’usine Melox en 2024. Outre des difficultés de production résultant notamment d’un changement d’approvisionnement en uranium, l’IRSN examine les problèmes de maintenance d’une installation en service depuis près de 30 ans et d’augmentation de la dosimétrie collective liée à ces opérations.
À La Hague, qu’il s’agisse d’UP3 (INB n° 116) ou d’UP2-800 (INB n° 117), les principaux enjeux sont ceux de la réévaluation du comportement des ouvrages et des équipements en service depuis plus de 30 ans face aux aléas naturels (séismes, neige, vent, tornades…) et de l’analyse des phénomènes de vieillissement qui conditionnent la durée de vie d’équipements clés tels que le dissolveur de l’atelier de cisaillage-dissolution ou les évaporateurs de l’atelier de concentration des produits de fission.
Au-delà, l’enjeu est d’anticiper, pour l’après-2040 (l’actuelle programmation pluriannuelle de l’énergie retenant le choix du traitement des combustibles usés jusqu’au moins cette échéance), une solution industrielle – satisfaisante au point de vue de la sûreté – soit de traitement, soit à terme de stockage définitif des assemblages combustibles usés.
En savoir plusIndispensables au fonctionnement du cycle du combustible, les emballages de transport voient se développer de nouveaux modèles. C’est le cas des nouveaux emballages TNG3 et TN112, développés par Orano NPS pour les combustibles usés, ou du TN Eagle pour leur transport et leur entreposage à sec. Leur expertise par l’IRSN a mis en lumière certaines améliorations de sûreté.
Étalés sur des décennies, le démantèlement des installations nucléaires et la gestion des déchets qui en sont issus posent, par excellence, des questions de sûreté liées à la gestion du temps long, entre autres en termes de surveillance des installations concernées et de tenue tant au vieillissement qu’aux aléas, notamment climatiques.
En vue de l’examen des dossiers de sûreté qui lui seront soumis, l’IRSN développe ses propres études, par exemple pour la caractérisation des aléas climatiques et l’analyse du vieillissement de matériaux tels que les élastomères. L’Institut a d’ores et déjà conduit un travail de réflexion sur les stratégies de démantèlement des installations des grands exploitants (EDF, CEA, Orano), examinant notamment les conditions nécessaires pour mener à bien l’ensemble des projets de démantèlement, compte tenu de leurs spécificités (inventaire radiologique, localisation, type de déchets qui en seront issus, etc.). Il s’agira en effet d’expertiser dans les années à venir des dossiers relatifs au démantèlement de divers réacteurs (UNGG à Chinon, Saint-Laurent-des-Eaux et au Bugey, REP à Fessenheim…) et installations du cycle du combustible nucléaire (anciennes installations de traitement de combustible à La Hague…).
En savoir plusLes opérations de démantèlement en cours à Chooz et les opérations préparatoires au démantèlement de Fessenheim apportent, grâce notamment à la standardisation des réacteurs pour chaque palier de puissance, un retour d’expérience permettant un certain degré de confiance dans la possibilité de démanteler le parc nucléaire dans des conditions satisfaisantes. Toutefois, des paramètres tels que la disponibilité des installations de stockage des déchets générés pouvant contraindre la progression des opérations de démantèlement, l’IRSN porte une attention particulière, dans le cadre de son expertise des stratégies du CEA, d’EDF et d’Orano, au chaînage des différents projets de démantèlement et à la gestion afférente des déchets.
En savoir plusLe démantèlement des installations nucléaires et l’évolution du parc de réacteurs, en particulier la stratégie de retraitement du combustible usé, vont modifier la nature et les volumes de déchets à prendre en charge, conduisant l’IRSN à préparer l’acquisition de connaissances nouvelles en vue de l’expertise des futurs dossiers de sûreté. Le développement de nouvelles filières de réacteurs comme les SMR suscite ainsi des réflexions menées par l’IRSN dans le cadre par exemple du programme commun européen pour la gestion des déchets radioactifs (EURAD) ou du réseau international SITEX Network.
Par ailleurs, le démantèlement des installations nucléaires générera d’importants volumes de déchets de moyenne activité à vie longue, nécessitant des installations dédiées comme ICEDA en attendant la mise en service de Cigéo. La même situation se retrouve pour les déchets de très faible activité, pour lesquels la saturation prochaine de la capacité de stockage actuelle demande le développement de nouvelles pistes de gestion. Enfin, il en va de même pour les déchets graphite (de faible activité à vie longue) issus du démantèlement des réacteurs de type UNGG, pour lesquels la filière de gestion est aujourd’hui en cours de définition, ou des déchets bitumés qui nécessitent la conduite de recherches complémentaires relatives à la sûreté de leur gestion.
En savoir plusLa création de l’installation de stockage géologique Cigéo, si elle est décidée, nécessitera un accompagnement en expertise de sûreté, en particulier lors de sa phase pilote avec un inventaire restreint visant à qualifier certains de ses composants ainsi que les méthodes adaptées à son exploitation industrielle, puis lors de la montée en puissance de l’installation. Il est à noter que l’évolution du parc électronucléaire français, avec la mise en service envisagée de six nouveaux EPR, pose la question des capacités nécessaires à l’accueil des volumes supplémentaires de déchets générés, en termes de sûreté en exploitation et après fermeture du stockage.
La surveillance du vieillissement des colis constitue par ailleurs un enjeu de sûreté pour lequel l’IRSN a lancé, dans son laboratoire de recherche souterrain à Tournemire, un programme de recherche dénommé PALLAS, en complément de ceux déjà en cours dans ce laboratoire.
Face à la complexité croissante des questions d’expertise et aux nouvelles capacités numériques liées à l’évolution des technologies cognitives, l’IRSN innove pour relever les futurs défis de l’expertise de sûreté nucléaire.
Les initiatives menées par l’Institut englobent des domaines variés – des systèmes experts aux outils intégrant de l’intelligence artificielle – afin de développer un ensemble de méthodes de traitement de l’information ou de modélisation numérique à même de faciliter l’identification des sujets à enjeux de sûreté ou radioprotection et à appuyer les prises de position techniques.
Afin de coordonner ces initiatives, le programme Expertise augmentée a été mis en place, avec une structure organisationnelle reposant sur une gouvernance agile, une intégration des référentiels de l’IRSN et une priorité accordée à la conception d’outils d’assistance à l’expertise et au développement de connaissances mobilisables grâce au croisement des données dont dispose l’Institut.
Les objectifs fonctionnels du programme Expertise augmentée visent à faciliter l’expression des besoins, à mutualiser les ressources ainsi qu’à renforcer les connaissances et les compétences relatives à ces technologies nouvelles. Par ailleurs, les questionnements actuels portent sur l’impact de l’intelligence artificielle sur la gestion des risques nucléaires, sur l’explicabilité et la confiance des modèles ainsi que, plus largement, sur le partage des données dans le cadre des instructions. Ces réflexions prospectives sont menées en collaboration avec l’ASN – notamment sur un projet de développement d’un hub des données de la sûreté nucléaire – avec des exploitants (EDF, CEA…) et, à l’échelle internationale, avec des partenaires allemand et américain de l’Institut, GRS et l’US NRC. L’objectif est de se préparer aux évolutions méthodologiques et technologiques susceptibles d’avoir une incidence sur la sûreté et, par extension, sur son expertise et sur le métier même de l’expert.
Dans une logique de laboratoire d’innovation en matière de participation citoyenne à la sûreté nucléaire et à la radioprotection, l’IRSN développe de nouveaux modes d’ouverture à la société :
Dans cet esprit, l’IRSN travaille à la création d’une métrique d’évaluation de l’impact de ses actions qu’il partagera en 2024 avec ses homologues signataires de la charte de l’ouverture à la société. Il est par ailleurs lauréat de l’appel à projets de l’ANR intitulé Science avec et pour la société, qui lui permettra de mener des actions de recherche participative dans le dunkerquois en partenariat avec l’Université du Littoral Côte d’Opale.