« Si la démarche d’intégration de la recherche et de l’expertise de sûreté nucléaire est loin d’être une réalité nouvelle pour l’IRSN, la maturation progressive du dialogue entre ces deux missions – grâce à une animation transverse qui a su créer un véritable chaînage de compétences complémentaires – permet aujourd’hui d’en assurer la cohérence et la stabilité, comme l’a souligné le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres). Les programmes de recherche doivent ainsi répondre aux besoins de l’expertise tout en conservant la distance nécessaire pour éviter une mise en tension du système de contrôle consécutive à un déversement trop direct des résultats de recherche dans l’expertise. L’introduction des technologies cognitives au service tant de la recherche que de l’expertise s’inscrit également dans ce processus de maturation.
Apporter une expertise de qualité, outre le fait qu’elle soit fondée sur des connaissances à l’état de l’art, suppose également, de la part des experts de l’Institut, une appréciation des implications de leurs travaux sur la sûreté en exploitation. Afin de répondre à des exigences de sûreté renforcées, notamment à la suite de l’accident de Fukushima-Daiichi, les installations nucléaires ont vu leur référentiel, leurs équipements et leurs règles d’exploitation se complexifier. Il importe désormais pour nos experts de s’appuyer sur le retour d’expérience afin de s’assurer que le gain en sûreté escompté du fait de leurs préconisations n’est pas remis en cause par la complexité des installations. »
Karine Herviou
Directrice générale adjointe,
en charge du pôle Sûreté nucléaire
Dans la perspective du démarrage et de la mise en service de l’EPR de Flamanville (Manche) en 2024, l’IRSN a finalisé l’expertise de dossiers majeurs et poursuivi l’analyse des essais d’ensemble du réacteur.
En 2023, l’IRSN a finalisé l’expertise du rapport de sûreté ainsi que des règles générales d’exploitation adressés par EDF en support de la demande de mise en service de l’EPR. Parmi les différents avis rendus par l’Institut dans ce cadre, trois concernent plus particulièrement la conception des soupapes de sûreté du pressuriseur, le système de filtration de l’eau du réservoir interne du bâtiment réacteur (voir encadrés), ainsi que la prise en compte du retour d’expérience de la mise en service des premiers EPR. En parallèle, l’Institut a poursuivi l’expertise des résultats d’essais de démarrage du réacteur, mettant en évidence le besoin de rejouer certains d’entre eux – notamment certains essais à chaud – lors de la phase de qualification d’ensemble de l’installation.
L’IRSN examinera les résultats des essais post-démarrage et la montée en puissance de l’EPR en vue d’une mise en service industrielle courant 2024.
En cas de rupture du circuit primaire, l’EPR est équipé d’un système d’injection de sécurité destiné à compenser la perte d’eau résultant de la brèche et à maintenir le cœur du réacteur sous l’eau. Des débris étant susceptibles d’être entraînés par l’eau sous l’effet de la rupture du circuit, et de perturber le fonctionnement du circuit d’injection de sécurité, ce dernier est équipé de filtres. Ils ont fait l’objet, dans la boucle VIKTORIA (située à Levice, en Slovaquie), d’essais de qualification en configuration EPR sur lesquels s’est appuyé l’IRSN dans son analyse.
L’EPR est équipé d’un pressuriseur visant à réguler la pression et à prévenir toute élévation excessive de pression dans le circuit primaire du réacteur. Les essais réalisés sur les soupapes du pressuriseur, actionnées par des pilotes qui lui sont directement connectés, ont montré une sensibilité de leur comportement à la température des pilotes ainsi qu’un risque de fuites sur ces derniers. Dans son expertise, l’IRSN a préconisé la réalisation d’essais afin de corroborer les justifications fournies par EDF à cet égard. Dans l’attente, des dispositions d’exploitation renforcées sont mises en œuvre pour garantir le bon fonctionnement des soupapes en cas de sollicitation.
Neige, tempêtes, submersions marines, inondations, séismes… les installations nucléaires sont potentiellement exposées à des aléas naturels qu’il convient d’évaluer en vue de prendre les dispositions de protection adaptées. L’IRSN a poursuivi ce travail en 2023, notamment dans le cadre de collaborations internationales.
Un groupe de travail pluridisciplinaire placé auprès de l’ASN et piloté par l’IRSN s’est intéressé aux dommages potentiellement causés par le vent ou la neige aux structures et équipements importants pour la sûreté des installations nucléaires. Dans leur rapport, qui fournira la base de connaissance d’un futur guide de l’ASN, les experts ont montré que ces dommages peuvent résulter non seulement des contraintes mécaniques induites par la pression du vent ou le poids de la neige sur les structures, mais aussi d’effets indirects tels que l’impact de projectiles, l’obstruction de prises d’air ou la perte de moyens externes au site.
Par ailleurs, dans le cadre de ses évaluations de sûreté des sites nucléaires localisés en bord de mer et de leur protection contre le risque de submersion, l’IRSN a mené des recherches sur l’estimation des niveaux marins extrêmes et développé une base de données, entièrement publique, recensant plus de 800 événements survenus depuis le début du XVIe siècle.
Dans le domaine sismique enfin, des experts de l’Institut ont participé à des missions d’observation à la suite des tremblements de terre survenus dans les régions de Kahramanmaraş (Turquie) et de la Laigne (France). La vision de terrain acquise à l’occasion de ces missions permet à l’IRSN de porter un regard plus aiguisé sur les outils de simulation de tenue aux séismes ou sur les plans d’exécution de travaux et contribue à la montée en compétences de ses experts, en particulier les plus jeunes.
Le premier était un atelier organisé par l’Agence pour l’énergie nucléaire de l’OCDE (AEN) concernant la prise en compte des aléas naturels à l’IRSN et le second, organisé par l’Institut, revenait sur le séisme de magnitude 6,3 qui a frappé la région de Petrinja (Croatie) en 2020.
Lancé conjointement par l’IRSN, l’Anccli et l’ASN avec la participation d’EDF, en décembre 2022, en parallèle de l’expertise (voir brève ci-dessous), le dialogue technique mené dans le cadre du 4e réexamen périodique des réacteurs de 1 300 MWe (RP4-1300) s’est poursuivi en 2023 avec l’organisation de trois réunions (en mai, juin et octobre) à l’occasion desquelles l’IRSN a présenté des éléments techniques sur dix thématiques. Ces journées ont permis de recueillir des questions et attentes de la société civile, dont l’IRSN tiendra compte dans son expertise.
Publication des premières expertises de sûreté de l’IRSN dans le cadre du RP4-1300
Les quatre avis publiés en 2023 par l’Institut portent respectivement sur le changement des générateurs de vapeur, le nouveau référentiel d’étude de l’accident de perte de réfrigérant primaire, le noyau dur post-Fukushima ainsi que l’évaluation de la réactivité du cœur à la suite d’un arrêt automatique du réacteur.
Des réactions entre des produits présents dans le procédé de traitement des combustibles usés peuvent, dans certaines conditions, conduire à la formation de composés instables, dits « red oils », générant un risque d’explosion qu’il importe de prévenir. À la demande de l’ASN, l’IRSN a examiné la modification des barrières de sûreté associées à la démonstration de sûreté d’Orano Recyclage.
L’atelier T2 de l’usine UP3-A de La Hague (Manche) assure la séparation des produits de fission, de l’uranium et du plutonium. Les solutions de produits de fission obtenus sont concentrées par évaporation, puis entreposées dans des cuves de l’atelier avant leur vitrification. Le procédé d’extraction mis en œuvre utilise un solvant organique pouvant former, sous certaines conditions, des composés nitrés instables, appelés « red oils », susceptibles de se décomposer violemment et de générer une importante quantité de gaz explosibles.
Sur la base des documents examinés à la demande de l’ASN, l’IRSN a estimé acceptable la modification d’une partie des lignes de défense participant à la prévention de la formation de « red oils » dans les évaporateurs de la nouvelle unité de concentration des produits de fission de l’atelier T2.
La découverte par EDF de fissures de fatigue thermique sur les réacteurs n° 2 de Penly (Seine-Maritime) et n° 3 de Cattenom (Moselle), tous deux d’une puissance unitaire de 1 300 MWe, a amené l’IRSN à s’interroger, à la demande de l’ASN, sur de possibles évolutions de la stratégie de contrôles périodiques menés par l’exploitant.
Au mois de mars 2023, EDF avait annoncé la découverte d’une fissure profonde (23 mm, pour une épaisseur totale de 27 mm) de corrosion sous contrainte sur une soudure du circuit d’injection de sécurité connecté au circuit primaire du réacteur n° 1 de la centrale nucléaire de Penly. Par la suite, lors de la recherche d’éventuels autres défauts, l’exploitant a détecté des fissures de fatigue thermique sur les réacteurs n° 2 de Penly et n° 3 de Cattenom. La fatigue thermique est un mode d’endommagement connu des circuits des réacteurs nucléaires résultant de variations de température répétitives, pouvant conduire à l’apparition de fissures. Le principal mode de prévention est la conception des circuits ou les précautions prises en exploitation, afin d’éviter que les tuyauteries soient soumises à des variations cycliques de température.
Les fissures de fatigue des réacteurs n° 2 de Penly et n° 3 de Cattenom n’ont pas été découvertes sur les soudures examinées dans le cadre du programme de contrôle périodique, mais grâce aux contrôles supplémentaires destinés à rechercher des défauts de corrosion sous contrainte. Les résultats de ces contrôles supplémentaires seront pris en compte dans les suites de l’expertise relative à la cinétique de propagation des fissures de corrosion. À plus long terme, l’Institut estime que les programmes de contrôle d’EDF vis-à-vis de ces deux modes d’endommagement devront être adaptés aux connaissances nouvelles et a engagé une réflexion en ce sens.
L’IRSN a examiné les dossiers de sûreté liés au démantèlement de différentes installations nucléaires comme les deux réacteurs de Fessenheim (Haut-Rhin) et deux installations de gestion de déchets solides situées à Cadarache (Bouches-du-Rhône) et à Fontenay-aux-Roses (Hauts-de-Seine). L’Institut a conclu à l’acceptabilité, sur le plan technique, des dossiers présentés et a formulé des recommandations.
Après avoir analysé le dossier de sûreté du démantèlement de la centrale de Fessenheim, l’IRSN a formulé des recommandations dans deux domaines – d’une part, la maîtrise des risques lors des opérations de découpe de la cuve, de l’autre, les dispositions de surveillance de la contamination à l’extérieur de certains sas de chantier – et estimé satisfaisants les engagements pris par EDF en matière de facteurs organisationnels et humains, d’étude des situations accidentelles possibles, de gestion des déchets ainsi que d’étude d’impact.
Au sujet du démantèlement de l’INB n° 56, située à Cadarache et utilisée par le CEA depuis les années 1960 pour l’entreposage de déchets radioactifs solides, l’Institut a recommandé la mise en œuvre de dispositions visant à limiter les conséquences potentielles de la chute d’un des équipements de reprise des déchets lors des manutentions.
S’agissant enfin de l’INB n° 166, autre installation d’entreposage de déchets solides du CEA située à Fontenay-aux-Roses, l’IRSN recommande de compléter la surveillance radiologique des eaux souterraines et cours d’eau en aval du site.
Ce dispositif, capable de corriger les variations de granulométrie des aérosols qui perturbent la mesure de l’activité par les systèmes actuels de surveillance en continu de l’air ambiant, constitue un progrès significatif pour la radioprotection des travailleurs en installations nucléaires.
Dédiée à la fabrication de produits radiopharmaceutiques, l’INB n° 29, située à Saclay (Essonne), est exploitée par la société CIS bio international. À l’issue de l’expertise du dossier de réexamen périodique de la sûreté de cette installation, l’IRSN a recommandé notamment l’amélioration de l’étanchéité des enceintes de confinement ainsi que la mise à l’état sûr de l’installation en cas d’indisponibilité du système d’extinction automatique d’incendie.
L’IRSN co-organise PATRAM 22, symposium consacré au conditionnement et au transport des matières radioactives
Ce 20e symposium organisé avec le soutien de l’IRSN a rassemblé du 11 au 15 juin 2023, à Juan-les-Pins (Alpes-Maritimes), plus de 700 acteurs impliqués dans le transport de matières radioactives. Il leur a permis de débattre d’un large éventail de sujets liés à ce domaine, comme la mécanique, la sûreté, le confinement, le transfert de chaleur, la fabrication, la sécurité, la maintenance ou la qualité.
La Plateforme intégrée de retour d’expérience (PIREX) est déployée au sein de l’IRSN depuis maintenant deux ans et demi. Une nouvelle version, entrée en exploitation en 2023, intègre des évolutions concertées avec les utilisateurs. Elle a été un élément du séminaire réunissant, en fin d’année, l’IRSN, GRS et la NRC.
Développée par l’IRSN afin de capitaliser tous les événements significatifs déclarés chaque année par les exploitants d’installations nucléaires ou de transports de substances radioactives, la Plateforme intégrée de retour d’expérience (PIREX) utilise des algorithmes mettant en œuvre des techniques d’intelligence artificielle (traitement automatique du langage, machine learning…) afin de tirer, de façon plus rapide et plus exhaustive qu’auparavant, des enseignements des quelque 47 000 événements significatifs déclarés par
les installations nucléaires depuis leur démarrage. PIREX permet ainsi d’orienter, d’une part les travaux d’expertise de l’IRSN (identification des enjeux et des thèmes à examiner) et de R&D (identification des besoins de nouvelles connaissances), d’autre part le soutien aux autorités de sûreté (appui aux inspections, bilans…).
Lors de leur séminaire commun, l’IRSN, GRS et la NRC ont discuté notamment de l’apport des technologies innovantes pour l’expertise de sûreté, dont PIREX est un bon exemple.
Plusieurs pays s’intéressent, notamment dans l’Union européenne, à de nouveaux concepts de réacteurs de faible puissance, modulaires et faisant largement appel à des systèmes passifs de sûreté. Au titre de ses activités d’expertise et de recherche, l’IRSN a participé, tout au long de 2023, à différentes discussions et réunions techniques sur ce sujet[1].
Intervenant au mois d’avril à l’occasion du séminaire présidé par Mariya Gabriel, Commissaire européenne en charge de la recherche et de l’innovation, au sujet de l’autonomie stratégique de l’UE et de la recherche menée dans le cadre EURATOM, le directeur général de l’IRSN a exposé les enjeux de sûreté nucléaire liés à de nouvelles technologies comme celle des réacteurs modulaires de faible puissance (SMR). La présentation du projet de l’IRSN « PASTIS », consacré aux systèmes passifs de sûreté des réacteurs à eau sous pression, a permis d’illustrer les besoins de recherche associés.
Le 30 novembre 2022, le président de la République a lancé à Washington un programme de coopération franco-américaine pour le nucléaire. À ce titre, l’IRSN et l’US NRC ont inclus dans une feuille de route commune les aspects liés à la sûreté des SMR et à la contribution des systèmes passifs à celle-ci. Des échanges techniques ont permis de comparer les analyses de sûreté des réacteurs américain NUSCALE et français NUWARD. Ils se poursuivent en vue d’une collaboration dans l’utilisation de la future plateforme PASTIS, implantée à Cadarache, qui a été présentée lors de la réunion de suivi à l’Élysée le 29 novembre 2023.
Ce système de logiciels permet de simuler, depuis l’événement initiateur jusqu’aux rejets dans l’environnement, des scénarios d’accidents avec fusion du cœur d’un réacteur. Développé initialement pour les réacteurs à eau sous pression, ASTEC a évolué pour s’appliquer à d’autres réacteurs et installations nucléaires, comme les piscines d’entreposage du combustible nucléaire et, bientôt, certains petits réacteurs modulaires.